Jocelyn, le site du Croac que tu as tenu seul pendant quatre ans, s’est arrêté avec ton départ pour le grand voyage. Ce premier éditorial depuis un an dit que nous sommes toujours là. Il dit aussi que, comme tous ceux qui veulent un autre monde, nous portons le poids des régressions quotidiennes et le doute sur ce qu’il convient de faire.
En 1935, Bertolt Brecht disait dans un poème dédié « A celui qui doute » : « Tu dis : cela va mal pour notre cause. Les ténèbres se font plus noires. Les forces diminuent. Aujourd’hui, après tant d’années de travail, note situation est plus difficile qu’au début. L’ennemi, lui, est là, et plus fort que jamais. Ses forces ont crû, semble-t-il. Il a pris un aspect invincible…..le nombre des nôtres s’amenuise……..Allons-nous rester en arrière sans comprendre personne et plus compris d’aucun ? Devons-nous compter sur la chance ? Telles sont tes questions. N’attends d’autre réponse que la tienne ! »
La situation, par sa clarté, pourrait pourtant inciter à l’optimisme : - en 2004 nous avions relayé le nouvel appel des résistants (disant « ils veulent liquider tout ce qui a été acquis en 1945, issu du programme du Conseil National de la Résistance, il faut inventer, créer, créer c’est résister ») ; aujourd’hui c’est un des patrons du MEDEF qui écrit que la politique à l’œuvre depuis l’élection de Sarkozy consiste précisément à casser « méthodiquement » ce qui a été acquis à cette période. - la roue de secours du capitalisme – les sociaux-démocrates – a fonctionné pendant très longtemps comme un leurre ; aujourd’hui, en France (Pascal Lamy à l’OMC, Strauss-Kahn au FMI, et quelques pantins notoires au gouvernement) et ailleurs, ils rejoignent leur camp en tombant le masque ; - alors que la politique menée sert outrageusement la rapacité des milliardaires, que l’impérialisme s’affiche à nouveau avec ses bruits de bottes et ses accents colonialistes, qu’une dictature se met en place par la police des esprits, les directions des organisations syndicales cachent de plus en plus mal leur renoncement voire leur ralliement à la mondialisation capitaliste et les partis politiques censés défendre les travailleurs continuent de faire le compte de leurs postes ou de leurs envies de postes.
Hélas, pour l’instant, il semble que l’abattement l’emporte sur la lucidité ou, plus sûrement, que l’absence de confiance dans la possibilité d’une victoire paralyse les volontés existantes. Et sans doute devons-nous conjuguer la résistance de ceux qui pensent qu’un autre monde est possible avec l’offensive de ceux qui pensent qu’il est déjà en marche avec par exemple la démonstration que l’on peut produire localement, et des produits sains, et que la consommation dans les supermarchés n’est pas une fatalité.
Sur l’ancien site du Croac, il y avait en exergue une citation de Brecht (« si tu ne participes pas à la lutte, tu participeras à la défaite »), un peu triste. Dans un texte de 1933, après avoir constaté que « l’injustice aujourd’hui s’avance d’un pas sûr », il terminait en disant : « Ce qui est assuré n’est pas sûr. Les choses ne restent pas ce qu’elles sont. Quand ceux qui règnent auront parlé, ceux sur qui ils régnaient parleront…De qui dépend que l’oppression demeure ? De nous. De qui dépend qu’elle soit brisée ? De nous »