Mexique-Chiapas-Zone Altos
La coopérative zapatiste de caféiculteurs Yachil Xojobal Chulchan est située sur le territoire du Caracol II d'Oventic “En la resistencia y rebeldia por la humanidad”. Cette coopérative est constituée de huit municipes des Altos: Chenalhó, Chalchihuitan, Pantelhó, Tenajapa, Cancuc, Simojovel, El bosque et Magdalena de la Paz.
Depuis San Cristobal de las Casas, pour rejoindre le Caracol d'Oventik, la route monte à travers la brume et les nuages vers le froid et l'humidité des Altos. A l'entrée du Caracol, des peintures murales sur les façades des habitations, un portail et deux gardes derrière des passe-montagnes. Sur une fresque, un escargot s'exprime: “lentement, mais j'avance”. Il nous faudra une heure avant de pouvoir passer de l'autre côté. Nous sommes venus à Oventik pour demander l'autorisation au Conseil de Bon Gouvernement, “Corazón céntrico de los zapatistas delante el mundo” de pouvoir accéder aux cafetales zapatistes. Après une attente certaine, nous sommes reçus. Les paroles du Conseil de Bon Gouvernement sont simples et sincères. Ils nous parlent de l'importance de la vente du café pour les zapatistes. Il s'agit bien souvent du seul moyen de pouvoir vivre tout en continuant de résister. Etre zapatiste c'est refuser toute aide du mauvais gouvernement. La vente du café est alors l'une des seules possibilités d'obtenir de l'argent pour acheter des médicaments, des vêtements, des tôles pour le toit des maisons…
Ils nous parlent également de la situation avant 1994, année du soulèvement. Le café était alors acheté à un prix extrêmement bas. L'insurrection du 1er janvier 1994 a permis de rechercher des formes alternatives de commercialisation du café. Remplacer la loi des coyotes par des liens de solidarité notamment avec des groupes de soutien en Europe et aux Etats-Unis. Sortir des règles du marché et s'organiser en bas à gauche a permis d'augmenter et de stabiliser le prix du café pour les producteurs. Cette amélioration de la situation contribue à l'avancée du mouvement zapatiste, dans sa construction de l'autonomie. Lentement mais toujours vers l'avant.
La coopérative Yatchil Xojobal Chulchan vend son café entre 75 et 86 pesos/kilo aux groupes Mut Vitz 31, Americasol et Echanges Solidaires en France, Kinal Estocolmo et Gebena Cafe en Suisse, Cooperative Coffee Americus aux Etats-Unis, Ya Basta en Italie, Café Libertad en Allemagne.
Du Caracol d’Oventik, nous partons pour le municipe autonome de San Pedro Polhó, où se trouve l'entrepôt de la coopérative Yachil Xojobal Chulchan. Nous traversons les villages de Chenalhó et Yabteclum pour arriver devant une petite église bleue, ornée de peintures célébrant le mouvement zapatiste. L'entrée du municipe est située juste á côté, un portail gardé par une femme zapatiste derrière son passe-montagne.
Ce MAREZ s'est constitué en 1995. Son histoire est indissociable de la violence paramilitaire qui s'implante dans la zone cette même année. Dès 1995, alors que les représentants du gouvernement mexicain sont assis à la table des négociations de paix, l'armée mexicaine organise et entraine des groupes armés au sein même des communautés de la région. Cette stratégie contre-insurrectionnelle est connue sous le nom de “guerre de basse intensité”. Les groupes paramilitaires agressent continuellement les membres des communautés proches du mouvement zapatiste. Ils brûlent maisons et récoltes, volent, violent, tuent.
L'Etat mexicain qualifie alors les violences de conflits intra et inter communautaire. Il dissimule ainsi ses responsabilités dans cette guerre de harcèlement.
Dès le début de l'année 1997, la guerre de basse intensité prend de l'ampleur. La peur s'installe dans les communautés zapatistes. Face à la violence paramilitaire, quasiment 9000 personnes vont se déplacer dans le municipe autonome de San Pedro Polhó. La situation est alors dramatique, les déplacés ont dû tout abandonner. Tout ce qu'ils possédaient est resté derrière eux. Ils ne peuvent plus travailler leurs terres au risque d'être tués. La nourriture vient à manquer. Les camps de déplacés s'organisent mais bien souvent seules les bâches en plastique servent d'abris dans une région où les pluies et le froid sont vigoureux. La stratégie contre-insurrectionnelle culmine le 22 décembre 1997 avec le massacre de 45 personnes, parmi lesquels des jeunes enfants, de la société civile Las Abejas à Acteal.
Aujourd'hui encore, de nombreux déplacés vivent toujours dans le municipe autonome de San Pedro Polhó. Sur les 780 membres de la cooperative Yachil Xojobal Chulchan, 150 caféiculteurs vivent à Polhó.
La culture du café a notamment permis de construire des habitations en bois, parfois en béton et d'acquérir des tôles pour les toits. L'amélioration des conditions de vie est manifeste.
Depuis quelques temps, il semble que la situation se soit quelque peu normalisée. Au-dessus des dernières habitations de Polhó, le camp militaire de Majomut est toujours en activité. Toutefois, il n'y a presque plus de barrages qui restreignent les déplacements. Les groupes paramilitaires sont toujours présents dans les communautés environnantes mais les zapatistes déplacés ont pu à nouveau cultiver leurs terres. Cette situation peut toutefois se détériorer à tout moment, si bien que la grande majorité des déplacés ne retournent pas vivre dans leur communauté. Ce déplacement forcé oblige les caféiculteurs à travailler des parcelles éloignées de leur habitation, parfois à plus de deux heures de marche. Mais le problème essentiel reste le manque de terres disponibles. Sur des terres, généralement communales , chaque famille dispose d'une parcelle. A la mort du chef de famille, la parcelle est alors divisée en part égale entre tous les enfants. De génération en génération, Cette répartition a pour effet de diminuer la surface des parcelles. A terme, les parcelles seront si petites qu'elles ne permettront plus à une famille de vivre décemment. Face à cette situation, certains caféiculteurs ont choisit de travailler collectivement. La parcelle n'est alors plus divisée et le collectif continue de travailler une même surface. Une autre solution est la récupération de terres appartenant aux grands propriétaires. Cette dernière option n'a pas été retenue dans cette région des Altos.
Avant de nous rendre dans les plantations de café, nous rejoignons le nouvel entrepôt de la coopérative. Il est situé au croisement dit de Majomut. Cette année, les municipes de Simojovel, El Bosque et Magdalena de la Paz, anciennement membres de la coopérative Mut Vitz ont rejoint Yachil Xojobal Chulchan. L'ancien local était trop petit pour stocker l'ensemble du café produit. La coopérative a alors opté pour la construction d'un nouvel entrepôt. Il devrait également permettre l'installation de machines nécessaires à la dernière opération de tri avant l'exportation. A ce jour, l'ultime sélection des grains de café est réalisée dans une maquiladora de Chiapa de Corzo.
Pour notre part, nous dormirons dans l'entrepôt sur des bancs et des sacs de café, vides. Bien qu'il n'y ait toujours pas un seul grain de café stocké, le bâtiment est gardé jour et nuit par des caféiculteurs qui se relaient toutes les 24 heures. La situation n'est peut-être pas si normalisée que ça…
En ce mois de décembre, les sacs de café peinent à se remplir car, ici aussi, le changement climatique a des répercussions. Sur les hauteurs de Polhó, le café est toujours vert et la récolte n'a pas vraiment commencé. Il nous faudra aller sur des parcelles plus basses, sur les terres dites “tierra caliente” pour trouver les cerises de café bien rouges. Les compañeros de Yachil Xojobal Chulchan nous emmèneront dans les communautés zapatistes de Guadalupe Las Laminas, Ocotal et Esmeralda sur le municipe de Pantelhó.
Petit matin blême. Des hommes, des femmes et des enfants patientent pour prendre le camion. On suit une piste qui va cahin-caha. Il est 6h30. Tout le monde descend. Le soleil commence à pointer. L'équipe descend quasi jusqu'à la rivière. Chacun prend son panier. Les gestes sont sûrs. Faits et refaits des milliers de fois. Les femmes restent entre elles. Les plus jeunes gardent les bébés. Ici, toute la famille participe. Le travail se fait à l'ombre de grands arbres plantés pour protéger les grains de cafés. Heureusement car le soleil est déjà bien chaud. Ici, les grains sont biens mûrs. Rouges presque pourpres. Les grains tombent facilement dans le panier. Chaque panier plein est ensuite reversé dans un grand sac plastique. En milieu de matinée, moment de pause. Les femmes sortent les tortillas, les frijoles et le pozole. Moment de partage à même le sol. Au bout de quelques heures, les hommes commencent à remonter les sacs sur leur dos. Il est 14h, la journée est loin d’être finie. La montée est rude. L'effort est intense. Les sacs les plus lourds peuvent peser jusqu'à 50kg. Ils n'utilisent pas d'animaux, trop cher et pas de possibilité de pâturage Et sans se plaindre, ils montent. Obstinément. Les femmes aussi portent des sacs peut-être un peu moins lourds et encore… Les adolescents suivent l'exemple de leur père et montent aussi les sacs. Ici, l'apprentissage se fait en direct. La transmission est instantanée, les mains dans le café, les pieds bien arrimés à la terre. Tout s'apprend dans les champs, par la parole et les gestes. Une communauté qui se vit et qui se transmet par l'effort.
Un peu plus haut sur la rivière, des hommes s'activent pour mettre en place la dépulpeuse, petite machine en fonte. Bien lourde. Qu'il a fallu amener jusque-là. A même l'épaule. Là aussi l'effort est dense. Surhumain selon nous. Quelques coups de machette plus tard, des troncs d'arbres qui deviennent des pieds de table et là voilà posée fièrement au milieu du champ. D'autres préparent des grandes bassines d'eau pour commencer le dépulpage. Il s'agit de retirer la peau rouge pour ne laisser que les 2 grains de café. En premier lieu, les grains sont versés dans la bassine. Les mauvais grains flottent. Ils sont retirés immédiatement. Les grains biens formés se déposent au fond de la bassine. Ils sont amenés à la dépulpeuse. Là, un homme tourne une manivelle avec force. La peau est broyée et recrachée par terre. Elle servira d'engrais pour la milpa. Les bons grains sont déposés dans un sac et montés à même l'épaule. D'autres montent les sacs directement à leur ferme et dépulpent à domicile. Certains ont motorisé la dépulpeuse. Pour soulager les corps. Juan nous a bien dit que sa journée est finie quand son corps est à bout. Quand tous ses muscles ne sont plus que douleur et souffrance.
Par la suite, les grains sont déposés dans un bac pour fermenter durant 24h. Il est plus de 20h30. La journée est enfin finie jusqu'au lendemain. Pour cueillir à nouveau. Un cycle sans fin…
Au retour de la deuxième journée, les grains fermentés sont lavés en deux fois. Paco, le paysan se met debout dans l'eau pour faire sortir l'eau sale. Le travail est long. Minutieux. Tous ces gestes sont doux. Presque comme une caresse. On le sent attentionné. Presque heureux malgré la rudesse du labeur. En tout cas, Paco est indéniablement amoureux de sa terre. Tout son corps exprime la dignité, l'humilité du paysan face à la Nature.
Pendant ce temps-là, son fils joue au cerf-volant. Un autre gratte une guitare dans un coin. Une vie quotidienne, tout en simplicité. Une communauté solidaire, qui travaille pour vivre dignement.
Au petit matin, face au soleil qui brille, ils tamisent le café pour sortir les mauvais grains. Chaque grain est examiné. Dans chaque opération, le mauvais grain est traqué. Et pourtant, à chaque fois, il en reste encore et toujours.
Esmeralada, petite communauté posée au fin fond d'une vallée dans un décor majestueux entre rivières et montagnes. Ici, les zapatistes sont minoritaires. Pablo nous fait découvrir le procédé du séchage. Toute la famille participe à cette tâche. Dans les patios. Sur les toits terrasses, le café s'offre au soleil pendant 4-5 jours. Un nouveau tri permet enfin de sortir le grain de café propre, appelé “pergamino”. Il sera ensuite mis dans des sacs en toile de jute, plus cher à l'achat mais qui permettent de mieux faire respirer le café. Yachil Xojobal Chulchan achète ce café “pergamino” aux différents membres de la coopérative et l'expédie dans une maquiladora pour un dernier tri des grains en fonction de leur taille. Ce café “oro” est alors celui qui prendra la direction du port de Veracruz pour être vendu à l'exportation.
De notre coté nous quittons la communauté Esmeralda pour l'entrepôt de San Pedro Polhó. Nous y retrouvons le comité exécutif de la coopérative. Ils cassent des cailloux, à grands coups de masse, pour ériger un mur de soutènement. Une image bien différente de celle que nous avons des fonctions de président, secrétaire et trésorier.
En 1998-1999 les caféiculteurs zapatistes de Pantelhó, Cancuc et Chilon se sont retrouvés pour discuter des possibilités leur permettant de ne plus vendre leur café aux coyotes et d'obtenir un meilleur prix. La résistance au système néolibéral consiste, dans ce cas, à créer une organisation dépendant le moins possible des lois du marché. La coopérative Yachil Xojobal Chulchan s'est constituée officiellement en 2001. Elle a expédié son premier demi-container aux Etats-Unis en 2002. En 2011, la coopérative regroupe 8 municipes des Altos et produit plus de 200 tonnes de café. L'ensemble du café commercialisé est destiné à l'exportation. Il est acheté par des groupes européens et états-uniens solidaires du mouvement zapatiste.
Le prix du café est fixé tout d'abord en prenant l'avis des différents caféiculteurs qui définissent un montant qui leur parait juste. Ce prix est alors proposé aux acheteurs qui ont des conditions différentes en fonction des groupes. Il n'y a donc pas un prix unique pour tous les acheteurs.
Une première partie du café acheté est payée en janvier. Ce versement par anticipation permet de payer les caféiculteurs dès la récolte. Le solde de la commande est versé en avril, lorsque la récolte est terminée et tous les frais identifiés.
Au sein de Yachil Xojobal Chulchan, chaque producteur est payé en fonction de la quantité de café livrée à la coopérative. Afin de ne pas tomber dans le piège de la monoculture, les caféiculteurs continuent de réserver une partie de leurs terres pour cultiver la milpa . L'argent du café est utilisé pour l'achat de biens qu'ils ne peuvent pas produire.
Par ailleurs, certains groupes d'acheteurs reversent les bénéfices générés par la vente du café aux cinq Conseils de Bon Gouvernement du territoire zapatiste. Ils participent ainsi au financement de la construction de l'autonomie y compris dans les zones non productrices de café. Au delà de la recherche d'un prix plus juste pour les producteurs, la solidarité s'affirme également en reversant aux zapatistes ce qui leur appartient.
La coopérative Yachil Xojobal Chulchan a été fondée par des indigènes Tseltal et Tsotsil: Elle fonctionne suivant leur mode d'organisation traditionnel. La direction est assurée par 45 personnes réparties en comité exécutif, comité de vigilance, commission technique, commercialisation, contrôle de qualité, commission d'admission de nouveaux membres. Le comité exécutif a pour mission de coordonner l'ensemble des commissions et d'assurer le bon fonctionnement de la coopérative. Le comité de vigilance a pour mission de surveiller le comité exécutif ainsi que l'ensemble des commissions sur l'utilisation de l'argent et le travail réalisé. Aucune des 45 personnes de la direction n'est rémunérée pour ces activités. Pourtant cette charge est assurée bien souvent au détriment de leur propre plantation de café. Tous les 2 ans, une nouvelle direction est désignée lors de l'assemblée générale des caféiculteurs. Cette rotation au sein de la coopérative permet de répartir dans le temps la charge de direction entre tous. Une autre de ses vertus est d'éviter l'accaparement des postes de pouvoir par un petit nombre de personnes. Ceci dit, se retrouver au comité exécutif et devoir casser des cailloux devrait également limiter les envies de s'assoupir sur le fauteuil de président.
P y V Chiapas – Mexique Décembre 2011