tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Base élèves
article mis en ligne le jeudi 23 août 2007 http://www.ldh-toulon.net/spip.php?page=imprimer&id_article=2180
Base élèves 1er degré est un système de gestion informatique de données personnelles concernant tous les enfants en âge d’être scolarisés dans une école maternelle ou élémentaire. Mis en place par le ministère de l’Education nationale avec l’objectif affiché de simplifier les tâches de direction, il permettra de regrouper de nombreuses informations grâce à un fichier unique auquel les écoles, les communes et l’administration centrale auront accès.
Comme tout système informatique de données nominatives, il est soumis à la vigilance de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (Cnil) [1]. Cette commission a pour mission de protéger la vie privée et les libertés individuelles, mais, malheureusement, ses moyens d’action sont bien réduits face à une entreprise de fichage de cette envergure.
Depuis toujours, au début de l’année scolaire, les directeurs rassemblent, sur papier ou sur ordinateur, des informations sur chaque élève, dans un but administratif et pédagogique. Jusqu’à présent, ces informations étaient assez peu nombreuses et elles ne sortaient pas de l’école.
Avec Base élèves 1er degré ce sera différent : un plus grand nombre de données personnelles seront recueillies, elles seront centralisées par Internet au niveau de l’Académie, les maires auront accès à certaines d’entre elles, et elles suivront les enfants pendant toute la durée de leur scolarité (une quinzaine d’années !).
De nouvelles informations pourront être stockées (certaines obligatoires, d’autres facultatives) : les “origines” géographiques de l’enfant (nationalité, pays d’origine, date d’arrivée en France), la langue parlée à la maison, la culture d’origine, un volet « Besoins Educatifs » consignera toutes les données personnalisées de l’enfant, qui jusqu’ici restaient confidentielles : ses difficultés scolaires (suivis R.A.S.E.D., intégration en CLIS, SAPAD), son absentéisme, son suivi médical, psychologique ou psychiatrique éventuel, la situation de sa famille (suivi social).
C’est ce que pensent de nombreuses organisations qui ne voient pas l’intérêt pédagogique de cette information, mais qui pressentent le risque encouru dans le cas où la police, par exemple, pourrait avoir accès à ce fichier — une situation tout à fait envisageable si on se réfère aux possibilités ouvertes par la loi de prévention de la délinquance qui impose le partage d’informations entre les différents acteurs sociaux, les professionnels de la santé, les enseignants, les professionnels de la police, les magistrats, et le maire de la commune.
Dans son avis du 22 juin 2007, la CNIL rappelle que « les données relatives à la nationalité, à l’année d’arrivée en France de l’enfant […] ne sont pas transmises aux maires ». Mais tout ne semble pas parfaitement clair puisque, dans ce même avis, la CNIL « interroge le Ministère sur les modalités exactes selon lesquelles cette information est exploitée ainsi que sur la nomenclature des nationalités utilisée » — à ce jour, la réponse du ministère n’a pas été rendue publique. [2].
Le 17 janvier 2006 l’Inspection académique de l’Oise a demandé à chaque proviseur de l’informer du nombre d’élèves de nationalités étrangères sous menace de reconduite à la frontière, ainsi que les noms, nationalités et résultats scolaires, de ceux d’entre eux qui étaient majeurs [3]. A l’avenir ce genre de “détournement” sera rendu plus facile si Base élèves 1er degré comporte des informations sur la nationalité.
Le système a bien été déclaré le 24 décembre 2004. Mais les détails du dossier n’ont pas été rendus publics, et il a fallu attendre plus d’un an et de nombreuses discussions pour que la CNIL établisse, le 1er mars 2006, le récépissé de cette déclaration (depuis la loi du 15 juillet 2004, la commission n’a plus les moyens de s’opposer à la mise en place de fichiers administratifs — elle n’a désormais plus qu’un avis consultatif à délivrer). De façon générale, il semble que la CNIL peine à obtenir les éclaircissements qu’elle demande au ministère de l’Education [4].
« Toutes les garanties de sécurité sont prises » nous répétait le ministère de l’Education nationale. Mais il n’en était rien ! Et ce ne sont ni la CNIL ni le ministère qui l’ont mis en évidence, mais de “simples citoyens” qui ont constaté, début juin 2007, qu’ils avaient libre accès par Internet aux fichiers de Base élèves.
En réalité, on ne pourra pas considérer Base élèves comme sécurisé avant le printemps 2008 [5].
Sans oublier qu’il n’existe pas de sécurisation absolue en ce domaine, et qu’aucun système n’est à l’abri d’un détournement de la part de ceux qui disposent du droit d’accès [6].
Encore faut-il qu’ils en soient informés. L’administration doit renseigner les familles sur l’usage des données recueillies, le droit d’opposition et de rectification, et leurs mises en pratique.
Dans un courrier en date du 26 juin, adressé au ministère [8], le SNUipp a rappelé qu’il avait déjà fait part de ses inquiétudes concernant Bases élèves.
Mais le ministère, sûr de lui, ne voulait rien entendre, comme en témoigne cette lettre adressée, le 30 novembre 2006, à Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUipp, par un haut fonctionnaire du ministère [9] :
« Les données sur la nationalité de l’élève sont collectées dans un but strictement statistique interne à l’Education nationale, et ne sont pas accessibles aux mairies selon la demande expresse de la CNIL. Les données saisies par les directeurs sur le suivi RASED et l’absentéisme signalé sont également à usage interne à l’Education nationale, et ne sont consultées que par des responsables autorisés, respectueux du devoir de discrétion et soucieux de l’intérêt de l’élève. La déclaration à la CNIL précise que les fichiers Base-Elèves 1er degré ne sont pas susceptibles d’être interconnectés avec d’autres fichiers « dont les finalités … correspondent à des intérêts publics différents » et « les données ne peuvent être échangées à des fins commerciales ». Les services informatiques du ministère, en charge de la sécurité des bases de données, assurent la mise en oeuvre de solutions techniques visant à garantir le contrôle des accès à l’application, la confidentialité et l’authentification des utilisateurs. [..]
« Je vous confirme donc qu’une très grande vigilance est mise en oeuvre pour garantir à la fois la sécurité et le bon usage des informations ainsi collectées. »
Dans un courrier adressé au ministère le 27 juin 2007 [10], la FCPE rappelait que, « depuis plusieurs mois », elle demandait « des garanties au ministère de l’Education nationale quant à la sécurisation de ce fichier informatique », mais que le ministère s’était « retranché derrière sa déclaration à la CNIL pour légitimer la généralisation de Base élèves ».
Le président national de la FCPE, Faride Hamana, n’a pas hésité à faire remarquer que « dans le contexte actuel, où les pouvoirs publics s’apprêtent à expulser un certain nombre d’enfants scolarisés », la présence « d’informations comme la nationalité, voire la date d’arrivée de la famille de l’enfant sur le territoire français » est « plus que préoccupante ».
Le système a été conçu et est géré de façon opaque, sans information préalable des parents ou des enseignants, et sans évaluation après expérimentation. Comment pourrions-nous accorder crédit aux « engagements » qui nous sont prodigués aujourd’hui, après la lecture de la lettre rappelée ci-dessus.
Sachant avec quelle “facilité” les fichiers de police judiciaire Stic et Judex ont été détournés de leur finalité initiale [11], comment pourrons-nous prendre au sérieux l’affirmation extraite de la lettre ci-dessus selon laquelle « la déclaration à la CNIL précise que les fichiers Base-Elèves 1er degré ne sont pas susceptibles d’être interconnectés avec d’autres fichiers ».
« Aujourd’hui, force est de constater que la plupart de ces fichiers ont été détournés de leur objectif initial d’outils administratifs pour se transformer en instruments de contrôle social. Parce qu’elle refuse une société où les individus seraient mis en fiche dès le plus jeune âge, parce qu’elle pense que les familles doivent pouvoir continuer à faire confiance à l’école, parce qu’elle n’accepte pas que ces fichiers se mettent en place en absence de tout débat public, la LDH demande que le ministère de l’Education nationale mette fin à cette expérimentation qui porte atteinte au respect des libertés individuelles et notamment à celui du droit au respect de la vie privée. » [12].
En rédigeant cet article nous avons pensé avant tout aux parents qui peuvent se trouver désarçonnés en l’absence d’informations claires et précises. Vous trouverez des compléments dans différents autres articles de ce site, et notamment :
N’hésitez pas à nous écrire pour nous signaler les erreurs et imprécisions de cet article, ainsi que vos commentaires. Merci de faire circuler cet article, et bon courage ! La section de Toulon de la LDH
[1] Une rubrique de ce site est consacrée à la Cnil.
[2] L’information sur la nationalité est-elle obligatoire ou non ? Jusqu’à présent elle l’était, mais il n’est pas exclu que le ministère finisse par changer d’avis, comme la note 1 de la page suivante http://www.ac-rennes.fr/actua/basel… le laisse à penser.
[3] Voir cette page.
[4] Voyez notamment la lettre de la CNIL du 1er mars 2006 et son avis du 22 juin 2007.
[5] Voir notre page.
[6] Voir, par exemple, ce qui concerne le Stic : l’Europe des fichiers se met en place.
[7] Sud-éducation qui a réagi le premier, Snudi-FO, CNT-éduc, UDAS, SDEN-CGT, SGEN-CFDT, SNUipp-FSU.
[8] Voyez cette page.
[9] Il s’agit de Jean-Pierre Deloche, sous-directeur des moyens, des études et du contrôle de gestion, au ministère de l’Education nationale.
[10] Voyez cette page.
[11] Ils ont été “détournés” par la Loi pour la sécurité intérieure (LSI ou Loi Sarkozy) du 18 mars 2003 : voir refus d’embauche, licenciements … les effets ravageurs du STIC dans le monde du travail.
[12] Voir le communiqué de la LDH.
[http://www.ldh-toulon.net/spip.php?article2180] sur le site de la LDH de Toulon